On ne mesure pas encore suffisamment l’importance de ces compétences du XXIe siècle. On a moins conscience du besoin en « savoir-être », on reste concentré sur les « savoir-faire ». Les savoir-faire sont importants bien sûr, mais la société évolue : de nombreux métiers auront disparu en 2030 au profit de métiers émergents, souvent innovants. On devrait miser sur les compétences sociales et apprendre aux jeunes à accueillir et à bien utiliser toutes ces technologies qui montent en puissance. L’idée est aussi de les inciter à développer leur intelligence émotionnelle en classe, tout comme leur intelligence humaine, relationnelle.
Je délivre des cours d’empathie auprès des jeunes depuis des années et je suis très heureuse que ces cours deviennent une réalité et se déploient à l’échelle nationale.
Il y a quelques années (en juin 2017), j’ai décidé de partir au Danemark avec une journaliste en vue de réaliser un reportage sur la philosophie appliquée là-bas et comprendre en quoi elle différait autant de la nôtre.
Dans quel contexte vous êtes-vous rendue au Danemark ?
Mon métier me pousse à chercher toujours plus de solutions permettant d’améliorer le parcours scolaire et étudiant de nos élèves. J’ai souhaité me rendre au Danemark pour mieux comprendre comment cela se passe chez eux et en tirer de l’inspiration, des idées, des outils et méthodes. Durant mon séjour là-bas, j’ai pu m’entretenir avec des spécialistes, des enseignants, et passer beaucoup de temps en classe comme observatrice. J’ai réalisé lors de ces recherches toute l’importance que l’aménagement de l’espace joue dans l’apprentissage.
Qu’est-ce qui est particulièrement frappant quand on entre dans une école au Danemark ?
Les chaussures dans les couloirs ! Et c’est important car cela a une implication sur la façon d’enseigner et les postures. Au Danemark les enfants sont donc pieds nus. Il y a des « montagnes » de chaussures devant les salles. Le fait d’être en chaussettes représente un atout en termes d’hygiène en classe, mais cela donne surtout une vraie liberté de circulation et de posture aux enfants. Par exemple, ils peuvent choisir de s’assoir sur les tables, les pieds sur les chaises. Mais certains choisissent aussi des postures beaucoup plus traditionnelles, en s’asseyant normalement à leur bureau.
Quelle relation les enseignants entretiennent-ils avec cette question des postures ?
Un jour alors que j’entrais dans une classe, j’ai été frappée par l’attitude d’un élève en particulier : il était avachi sur sa table, les cheveux dans les yeux. En France, avec cette posture, il serait passé pour le « cancre », comme on dit. Mais en fait il était parfaitement présent dans la classe, il était même l’un des élèves les plus participants ! Et sa posture ne préoccupait pas du tout son enseignante. Au Danemark, on ne reprend pas les élèves sur ce genre de choses. On part du principe que c’est normal à leur âge de se tenir « de travers », et que l’adolescent reprendra peu à peu une posture « conventionnelle » au fur et à mesure de sa socialisation. Les postures ne posent pas de problème non plus en primaire : des élèves de CP, CE1 ou CE2 peuvent s’allonger devant le tableau. Ce n’est pas interdit.
La relation entre élèves et enseignants semble différente de celle qu’on observe en France…
La relation entre les enseignants et leurs élèves au Danemark est basée sur un respect mutuel. L’adulte considère l’élève dans sa globalité, dans sa singularité, il le respecte naturellement. En retour, le jeune respecte son enseignant et cela favorise un échange productif. A chaque début de cours, l’enseignant préfère faire un tour de table et inviter le jeune à exprimer sa « météo interne » s’il en ressent le besoin. Les enseignants nous ont expliqué qu’ils préfèrent passer 20 minutes à parler des émotions de chacun pour ensuite obtenir 40 minutes de vraie productivité et d’attention, plutôt que de faire 60 minutes de cours dans une ambiance où le jeune n’écoute rien. Cet état d’esprit vient aussi d’une certaine philosophie de l’éducation et de la vie en collectivité, spécifique au Danemark. Là-bas, les jeunes sont habitués à exprimer leurs ressentis de manière non violente. On les y aide notamment avec des cours d’empathie à l’école.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces « cours d’empathie » ?
Il s’agit d’apprendre aux enfants à exprimer leurs émotions. Ils commencent très tôt. Au niveau CP ou CE1 sont organisées des séances où l’on présente plusieurs cas de figure aux enfants, par exemple : « Votre copain ce matin arrive à l’école avec un œil au beurre noir, que faites-vous ? Vous le laissez tranquille s’il ne veut pas en parler ? Vous essayez de le faire raconter ce qui s’est passé ? »…
Du côté des ados ça peut être : « Votre meilleure copine est invitée à la fête de votre ami mais pas vous. Que ressentez-vous ? »
Toutes ces situations correspondent à des « choses de la vie », que les enfants apprennent à gérer en famille bien sûr, mais aussi en classe.
Quels rôles les aménagements de la classe jouent-ils dans ce climat d’enseignement ?
L’aménagement scolaire est important car il permet aux élèves (jeunes, enfants, ados) d’entrer plus facilement dans les apprentissages. En ce sens, il est au moins aussi important que l’état d’esprit des élèves et des enseignants. L’aménagement est à la fois la continuité et le vecteur de cet état d’esprit positif et serein. Les deux sont indissociables car ils permettent un apprentissage optimal pour chacun. Au Danemark, la question des aménagements à l’école est intégrée de manière « naturelle ». Ce n’est pas un sujet de débat. Tout est aménagé pour permettre au jeune de travailler dans les meilleures conditions possibles. Ça n’est pas le jeune qui s’adapte à son environnement mais l’environnement qui s’adapte au jeune, pour lui permettre d’avoir la posture naturelle liée à son âge, à sa personnalité et à sa forme d’intelligence (que j’évoque sur mon blog à propos des intelligences multiples définies par Howard Gardner). Un jeune qui se sent à l’aise dans son corps et dans son espace participera naturellement en classe, il sera plus actif. Le fait que chacun se sente mieux individuellement favorise l’ambiance générale et fédère l’intelligence collective.
C’est intéressant car chez nous en France, nous avons de fortes croyances « limitantes » liées à l’éducation. Par exemple nous pensons qu’un enfant qui travaille allongé par terre ne peut se concentrer correctement… alors qu’à ce moment précis, il a peut-être justement besoin d’être allongé pour bien travailler. Et aujourd’hui, on sait que rester assis 6 à 8 heures par jour sur une chaise n’est pas une posture naturelle pour le corps humain et ne favorise pas l’apprentissage.
Comment les salles de classe danoises sont-elles aménagées ?
La plupart des salles de classe au Danemark, même les plus petites, se composent de plusieurs zones: une zone « îlot » – une zone « tables hautes et tabourets hauts » – une zone « coussins, banquettes » pour le coin calme de lecture et/ou de recherche. Ces deux ou trois zones aménagées au sein d’un même espace permettent de répondre aux besoins spécifiques de chaque élève au cours d’une même journée. Il en ressort une belle énergie, un travail participatif des élèves, vecteurs de l’intelligence collective. L’aménagement des espaces pour une classe flexible permet ainsi de travailler sur plusieurs sujets en parallèle, en ciblant toujours le bien-être de l’élève et du collectif.
Quels éléments du système danois pourraient être adaptés au modèle français selon vous?
Les écoles françaises ne peuvent pas toutes se permettre de passer en mode flexible pour des raisons de coût, de place aussi parfois. Les salles de classes ne permettent pas toutes cela. Cependant, on pourrait emprunter au modèle danois les cours d’empathie, au programme une fois par semaine. Et aussi l’aménagement des espaces tenant compte de la posture naturelle du jeune… Au Danemark, il y a également jusqu’à un coach par classe, qui travaille en binôme avec l’enseignant et qui intervient sur les compétences sociales du XXIe siècle : créativité, collaboratif, empathie, bienveillance, pensée critique etc… Autant de compétences inhérentes au savoir-être, que l’enseignant n’a pas forcément le temps d’enseigner en plus de son programme, et qui sont pourtant indispensables dans notre monde en pleine mutation.
Je pense qu’en France, on ne mesure pas encore l’importance de ces compétences du XXIe siècle. On a moins conscience du besoin en « savoir-être », on reste concentré sur les « savoir-faire ». Les savoir-faire sont importants bien sûr, mais la société évolue : de nombreux métiers auront disparu en 2030 au profit de métiers émergents, souvent innovants. On devrait miser sur les compétences sociales et apprendre aux jeunes à accueillir et à bien utiliser toutes ces technologies qui montent en puissance. L’idée est aussi de les inciter à développer leur intelligence émotionnelle en classe, tout comme leur intelligence humaine, relationnelle.
En quoi consiste votre métier concrètement ?
Dans certains cas je me déplace dans les écoles, ou alors les parents font appel à moi et je me rends à domicile. Les jeunes que je reçois expriment un peu tous de la même manière leur désarroi vis-à-vis de l’école : ils disent qu’ils se sentent « nuls », qu’ils « n’y arrivent pas ». Nous définissons ensemble des objectifs, sur lesquels nous travaillons au fil d’une série de séances. Dans l’idéal, je travaille avec l’élève, ses parents et l’école car tous ces acteurs sont impliqués dans la problématique. C’est un triptyque.