Y-a-t-il pour le sujet contemporain une alternative éthique à la jouissance de l’objet ?

Notre civilisation contemporaine se caractérise par le fait de la montée au zénith de l’objet petit a.  Il y a une invitation sociale contemporaine à une consommation immédiate, sans attente, non différée, sans intermédiaire, sur un mode qu’on pourrait qualifier de « boulimique ». Consommation d’objets achetés, de nourriture ou d’images.

La jouissance a pris toute la place là où au temps de Freud, il y avait le refoulement.  Il est ce sujet à qui on ordonne de jouir. La question pulsionnelle n’est plus tant d’interpréter le sujet de l’inconscient comme structuré par un langage mais c’est un sujet dans lequel il faut traiter d’abord la jouissance, les addictions etc. Nous y reviendrons également car toute la question est de savoir : comment aborder ce « nouveau » sujet contemporain – addict à l’objet – en séance notamment si la fonction qu’opérait dans l’œdipe, le nom du père n’est plus. Et quel est donc cet objet petit a qui vient crocheter la pulsion ?

Freud décrit dans « Pulsion et destin des pulsions » qu’il s’agit des orifices corporels, des seins, des fèces, du flux urinaire, du souffle. La voix et le regard sont aussi un objet petit a. Et, dernier objet que Lacan accroche à cette suite pulsionnelle, et qui est inattendu pour le coup, est la lettre. La lettre en tant qu’elle chute de la chaîne signifiante.

Peut-on réellement parler de l’objet petit a sans évoquer le commentaire de Marx du Capital par Lacan, le plus-de-jouir ; qui est une façon d’appeler l’objet petit a que vient justifier le capital.  

Nous pouvons également évoquer Aristote, notamment dans ce que Lacan appelle dans L’envers de la psychanalyse, le discours du maître. Le maitre fait face à un esclave qui est supposé produire du plus-de-jouir : Il produit des objets petits a qui circulent ; ces objets d’addiction qui subordonnent le sexe… Ces objets sont des lathouses « qui se manifestent à la vérité de l’être » ; ces objets de la pulsion sont des objets qui promettent une jouissance comme les objets de consommation. De nos jours, le sujet contemporain est pris dans cette course effrénée du plus-de-jouir.

Jusqu’où alors, allons-nous pousser la jouissance car, le corolaire de cette pente glissante pouvant en être la question de l’extinction du désir. Est-ce que le désir peut exister s’il n’y a plus d’entrave pour le constituer ? Et s’il n’y a plus de désir, il reste seulement la satisfaction du besoin, c’est-à-dire la société de consommation. Bauman dira : « cette vie frénétique, incertaine rend l’individu incapable de tirer un enseignement durable de ses propres expériences, parce que le cadre et les conditions dans lesquelles elles se sont déroulées, changent sans cesse »

Cet objet petit a comme objet plus-de-jouir prend la fonction de maitre mais d’une manière sadique qui est dans le forçage ; et c’est là où se révèle la nature sadique et libidinal du surmoi dans le discours néo libéral. Cela renforce l’aliénation voire la disparition du sujet à cet endroit. Même si au même endroit il y a une forme de quantification absolue pour maitriser cette jouissance qui est ordonnée Aujourd’hui on lève l’interdit moral et en même temps on pousse à la jouissance. On veut maintenir au maximum cette jouissance dans une forme de principe de plaisir pour que le consommateur puisse consommer le plus longtemps possible.

D’un côté, on peut dire que certains sujets contemporains sont encore pris dans des effets de refoulement et alors, il y a la grille du fantasme qui protège, puis la possibilité de traverser le fantasme comme fin d’analyse…

Comment alors est-ce que la psychanalyse peut venir contrer les effets du discours capitalisme et du néo-libéralisme? Comment le nouage borroméen peut venir se substituer à la fonction de l’œdipe comme castration pour tous ; avec pour vocation éthique de faire apparaitre l’espace du désir à l’intérieur d’un discours qui veut reprendre la fonction du père (sans tout l’imaginaire hétéro patriarcal). Nous l’aurons compris, dans le discours classique du maitre, il y a un signifiant maitre qui vient produire un s barré donc qui vient produire un sujet normalement correctement castré qui va produire un s2 du savoir ; et de l’autre côté ce qui informe la poussée du discours du maitre, c’est cet objet a.

Dans tous les ordres de discours, le discours psychanalytique est celui qui se tient le mieux actuellement. Aussi, voyons cela :

L’alternative éthique

      Parlons tout d’abord de l’éthique de l’analyste. Quel est son désir qui oriente le geste analytique et qui donc crée un espace pour un certain abord de l’éthique ? A la base, le patient vient en séance parce qu’il veut se sentir mieux. Il ne supporte plus de se perdre dans des relations toxiques, de consommer du sexe à outrance, de consommer tout court : chem sex, partouzes, pornographie, achats compulsifs : derniers IPhones, big data etc. Il ne supporte plus d’être perdu et « désire » changer, désire « guérir », désire « être heureux ». Il veut la satisfaction, et en ce sens, le discours contemporain lui propose plein de solutions pour l’être. Bien souvent, des solutions qui n’ont pas besoin de l’hypothèse de l’inconscient : quelle place alors pour cette éthique de la psychanalyse, face au discours de la science, face aux neurosciences, aux T.C.C etc. ? Et c’est là tout l’enjeu. Y a-t-il finalement une place pour le désir et comment est-ce qu’on atteint cet espace du désir à travers le désir de l’analyste ? Qu’est-ce que le discours de l’analyste qui guide le geste éthique ?

    A savoir est ce que le discours de la psychanalyse se distingue d’une éthique classique qui vise le bien, le juste, le bon et le beau car quelque part, dans un contexte antique classique, il y a un ordre dans lequel s’articule le bien, le bon et le juste.  Or, Lacan va venir souligner qu’il y a quelque chose qui se découvre au moment de la modernité : une désarticulation entre le juste, le beau, le bon, le bien et que derrière tout cela, il y a le mal et la jouissance mortifère (qui elle-même est indexée sur un jouit, qui est toute la discussion avec Sade. Il montre qu’il peut très bien y avoir une maxime universelle si on introduit une dose de perversion qui pourrait universaliser des choses absolument affreuses).

    L’alternative éthique de la psychanalyse est de dire que là où se tient l’objet a aux commandes du discours du néo maitre va se placer le psychanalyste qui lui ne va pas se mettre comme objet petit a qui va forcer le patient à jouir mais qui va forcer le patient à mettre des mots, à faire passer par le signifiant son objet cause. L’analyste se tient à la place de l’objet a mais en tant que l’objet a se convertit en parole, face au signifiant. Là où le maitre essaie de se cacher comme objet a pour dire jouit, et donc créer un effet d’addiction, créer un effet où il se branche directement sur la jouissance en voilant cette chose là ; l’analyste se tient à la place de l’objet a pour le faire apparaitre comme cause pour que le patient puisse commencer un peu à le connaitre, à en extraire un savoir de manière à pouvoir justement recreuser à l’endroit où tout est saturé par la jouissance un espace vide pour le désir. Comment refaire de l’espace au désir à l’intérieur d’une civilisation qui pousse à la jouissance ? Le désir surgit de ce manque à être.

    Tout le travail en cure analytique est de connaitre son objet cause du désir pour en extraire un savoir, lui donner un peu d’autonomie face à sa pulsion ; car quand on prend le temps de s’énoncer, tout à coup qu’est ce qui apparaît ? C’est du désir ! Et cela s’adresse et cela implique un certain engagement, un engagement dans son désir évidemment. Pour savoir y faire et à ce moment-là, le sujet devient responsable de sa propre jouissance et c’est ça la visée éthique, se faire responsable de son propre objet cause, de sa propre jouissance et surtout de ce qu’il y a de mortifère dedans. Car, un sujet n’est responsable de lui-même que dans la mesure de son savoir-faire avec sa propre jouissance.


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