LE FANTASME DANS LA METAPSYCHOLOGIE FREUDIENNE
Le fantasme est un terme utilisé par Sigmund Freud, d’abord dans le sens courant que lui donne la langue allemande (fantaisie ou imagination), puis comme concept à partir de 1897. Corrélatif de l’élaboration de la notion de réalité psychique et de l’abandon de la théorie de la séduction, il désigne la vie imaginaire du sujet et la manière dont celui-ci se représente à lui-même son histoire ou l’histoire de ses origines. On parle alors de fantasme originaire représenté par la scène primitive ; à savoir, celle que l’enfant se construit sur « ce qu’il pense avoir vu » dans la chambre des parents. A partir de ce coït parental « vu ou non » il se construit un fantasme. Ce fantasme inconscient organise toute vie humaine et pas seulement celle des névrosés. Il pilote la subjectivité de chacun. Comme dans le scénario « On bat un enfant », Freud nous montre que l’enfant est réduit en un point, celui de son œil, l’œil d’où il voit la scène. C’est son regard qui est saturé par la scène qu’il voit, dans laquelle le père bat l’autre enfant, son rival. Et c’est en ce point que se condense sa jouissance. C’est par ce jeu-là que se trouve assuré pour le sujet la permanence de son désir.Partant de ce postulat, nous sommes en droit, tout comme Lacan l’a fait, de nous interroger : « Peut-on sortir, peut-on dire quelque chose qui puisse sortir de nos fantasmes inconscients ? Ou parlons-nous toujours à travers le voile de nos fantasmes ?Et, est-ce qu’à la fin de l’analyse peut apparaître une pensée qui ne soit pas prisonnière du fantasme névrotique ? Sommes-nous en capacité de formuler une demande à partir de notre propre désir ? Sachant que ce que l’on désire, on ne le sait pas. Freud dira de l’analyste qu’il peut être en mesure de dévoiler, voire deviner un fantasme dominant à partir du discours d’un sujet dans la vie quotidienne.
Abandon de la neurotica théorie de la séduction.
La psychanalyse est née – à partir d’une conception du traumatisme – très exactement le 21 septembre 1897, lorsque Freud écrit à son ami Fliess, « je ne crois plus à ma neurotica ». C’est-à-dire, « je ne crois plus à la théorie de la séduction » où l’on
considérait que les névroses étaient attribuées à des traumatismes liés à des scènes de séduction réelles de l’enfant par les parents, par les adultes et que cette situation de séduction serait la cause traumatique de la névrose. Il ajoute ce postulat fondamental :
« j’ai acquis la conviction qu’il n’existe dans l’inconscient aucun indice de réalité de telle sorte qu’il est impossible de distinguer l’une de l’autre dans les récits des patients ». Il substitue le fantasme inconscient à l’événement traumatique, tout en le
différenciant du rêve. Il se tourne alors vers l’étude des fantasmes sexuels infantiles comme facteurs fondateurs des névroses, abandonnant l’idée d’une causalité traumatisante réelle. Il dira tout de même que les symptômes qui sont déterminés par les fantasmes, qu’un fantasme d’enfant se construit toujours sur quelques éléments de réel dans l’histoire familiale. Et c’est à partir de là que Freud va étudier la luxuriante floraison de fantasmes qui apparaissent dans les rêves, les pensées, les comportements des névrosés lors de la cure analytique. On passe donc du traumatisme par rapport à une causalité d’événements réels au traumatisme fondé sur les fantasmes sexuels infantiles. Cela l’amène à l’idée d’une organisation pulsionnelle de la sexualité
infantile.
Ancrage pulsionnel du fantasme et son rôle dans le traumatisme de névrose.
Freud articule les fantasmes avec la pulsion sexuelle, soulignant que l’analyse des fantasmes permet d’explorer la pulsion dans la psyché. Il met en lumière la façon dont ceux-ci articulent la pulsion avec les objets, offrant des insights sur la subjectivité du
patient. Il y a une logique dans l’organisation du fantasme. On a donc ainsi, le début d’une véritable métapsychologie, c’est-à-dire une théorie freudienne de la réalité psychique. La réalité psychique, ou ce que l’on appelle maintenant la subjectivité
concerne tout le monde et pas seulement les névrosés. Comme le disait Lacan, le névrosé est « increvable ». Freud nous fait remarquer que le névrosé d’une part, ne sait pas passer à l’action, ni prendre une décision et que d’autre part, il est inapte au
bonheur, à la jouissance de la vie. La cause principale étant que sa libido n’est pas dirigée vers un objet réel dans la névrose, mais elle est dirigée vers un objet fantasmatique. L’objet du névrotique c’est l’objet du fantasme, ce n’est pas l’objet réel.
Tout comme les symptômes, les fantasmes refoulés cherchent à rentrer dans la conscience. Sans cette rencontre entre l’évènement traumatique et le fantasme, on observe ce que l’on appelle une névrose traumatique caractérisée par la compulsion de
répétition où le traumatisme se répète de manière cauchemardesque jusqu’à ce jusqu’il soit reconnu et pris en compte par l’inconscient. L’analyse vise alors à dépasser cette
protection fantasmatique ainsi que sa jouissance pour permettre à l’individu d’assumer pleinement la réalité de la perte et lui éviter cette répétition incessante.
LA TRAVERSEE DU FANTASME DANS LA CURE SELON LACAN
Le travail du psychanalyste
La cure analytique et le travail du psychanalyste repose sur le transfert et son maniement dans la cure. C’est « le concept » transversal des méthodes analytiques et il n’y a pas de cure sans transfert. Le psychanalyste est, avant tout dans la cure, ce qu’il
est devenu dans le transfert du patient. L’analysant vient en cure avec une demande, parce qu’il désire mais ce qu’il désire, il ne le sait pas. Et c’est tout ce que l’analyse doit venir mettre à jour par l’interprétation de la parole du sujet.
C’est ce transfert-là que Lacan appelle « le sujet-supposé-savoir » mieux que le patient sa vérité inconsciente. On adresse à l’analyste notre parole parce qu’on le suppose mieux savoir que nous, ce qu’il en est de la vérité de notre parole et de nos symptômes.
Notons cependant que ce transfert symbolique ne peut être opérant que si l’analyste peut tenir strictement cette place du tiers, de l’altérité absolue ou du grand Autre, comme le dit Lacan. Si, à l’inverse il chute de cette place symbolique, et tombe
justement dans le transfert imaginaire, la cure s’arrête et ne peut se poursuivre. Nous trouvons cette orientation de la cure vers le fantasme à partir du texte de Freud « Les fantasmes hystériques et leur relation à la bisexualité » dans « Névroses, psychoses et
perversions ». Freud disait déjà à cette époque, en 1908 : « L’intérêt, de qui étudie l’hystérie, se détourne bientôt des symptômes pour se porter sur les fantasmes dont ils résultent ». La technique de la psychanalyse permet, à partir des symptômes, de deviner tout d’abord ces fantasmes inconscients et ensuite de les rendre conscients chez le malade ; on s’oriente d’abord sur le symptôme et sur la demande. Ainsi, en révélant les fantasmes inconscients, le symptôme peut disparaître. C’est, ce que Lacan
appelle : « la traversée du fantasme ». Tout le travail du psychanalyste va consister alors à dégager une séparation permettant au sujet d’être un peu plus dans le réel.
Retour vers le réel
Dans le séminaire des « Quatre concepts fondamentaux », Lacan, dans le chapitre intitulé « tuché et automaton » (tuché en grec signifie la rencontre du réel), rappelle que le réel apparaît dans l’échec de la rencontre avec l’inconscient ; car l’inconscient, structuré comme un langage, ne parvient pas à intégrer pleinement ce réel traumatique.
Ce manque de rencontre entre le réel et le symbolique entraîne un ratage dans la représentation par le discours, situant le traumatisme comme l’expérience subjective d’un réel inassimilable par le symbolique. Ce réel va du traumatisme au fantasme en tant que le fantasme fait une lecture du réel. Il constitue cet écran qui voile le réel, le fantasme déterminant par la même la compulsion de répétition comme répétition d’un
ratage. A savoir que le fantasme originaire est un voile fantasmatique que le sujet jette entre lui et un point originaire qui constitue son réel. Mais, peut-on réellement parler
fantasme sans évoquer le désir ? Le désir n’est-il pas articulé dans le fantasme ?
Fantasmes de désirs
Le fantasme à un rapport très étroit avec le désir. Il est une mise en scène du désir avec toujours la présence d’un interdit. C’est pour cela que l’on parle d’un fantasme incestuel. Le fantasme sert à fantasmer et non pas à être réalisé dans le réel. Il soutient
notre désir. S’il est refoulé, c’est bel et bien que celui-ci a un rapport avec le désir inconscient du fait même que l’inconscient est l’ensemble de nos désirs refoulés.
Raison pour laquelle Freud parle de Fantasmes de désirs. Le désir trouve son origine et son modèle dans ce que Freud appelle « l’expérience de satisfaction ». La première
expérience est la satisfaction du nourrisson au sein de la mère. Un nourrisson dans l’incapacité de s’occuper de lui lorsqu’il a faim par exemple dépend de sa mère ; la réponse de sa mère à sa détresse, en lui donnant le sein va produire cette expérience
de satisfaction. Dans l’inconscient, le désir se satisfait de l’hallucination, de l’image de l’objet de la première satisfaction, sur un fond de la perte irrémédiable de l’objet de la première satisfaction. Le sein en tant qu’objet réel est perdu. Ce qui montre là aussi l’importance de la méthode psychanalytique. L’objet de la première expérience est toujours perdu. Ce qui reste c’est la représentation qui s’accroche au désir conduisant à une satisfaction hallucinatoire du désir. On perçoit bien là encore, que si l’on cherche le désir d’un analysant, il faut s’intéresser à son fantasme.
Lacan dans « La logique du fantasme » le dira très bien : Il n’y a pas d’autre entrée pour le sujet dans le réel que le fantasme « le fantasme, c’est une fenêtre sur le Réel ». La cure analytique vise à remettre le réel à sa place. La traversée du fantasme, comme
fin d’une analyse, c’est d’arriver à lever « un coin du tapis » sur les fantasmes qui déterminent nos symptômes pour permettre une perception plus réaliste de la réalité psychique. Tout le travail pour l’analysant en cure analytique est de re-connaitre son
objet cause du désir pour en extraire un savoir, lui donner un peu d’autonomie face à ses pulsions et fantasmes. Pour cela, il lui faut prendre le temps de s’énoncer. La traversée du fantasme implique un certain engagement, un engagement dans son désir évidemment. En y faisant face, le sujet devient responsable de sa propre jouissance, de son propre objet cause. Car, un sujet n’est responsable de lui-même que dans la mesure de son savoir-faire avec sa propre jouissance. Il est important qu’il puisse repérer ce qu’il est comme sujet de jouissance, et à quoi il se réduit. Après l’expérience, après cette découverte de savoir, on peut attendre un changement au niveau du vouloir du sujet. La réponse qui permet de franchir l’écueil du fantasme, c’est l’invention par Lacan de l’objet a. On peut dire que Freud a découvert l’inconscient et la cure analytique et que, de son côté, Lacan a inventé l’objet a et la passe. Cette procédure qui permet d’évaluer ce qu’il en est à la fois de la fin d’une analyse et du passage de l’analysant à l’analyste.